Lorsque le TNP s’installe à Chaillot, Vilar met en pratique sa conception du « service public ». Il casse les rites du théâtre bourgeois, tout en proposant une nouvelle façon d’aller et de vivre au théâtre, dans le but d’inclure les non-initiés. Il impose progressivement des principes aujourd’hui totalement banalisés.
Le théâtre ouvre ses portes à 18h30, avec apéritif-concert dans le Grand Foyer, moment convivial et décontracté, permettant à ceux qui n’ont pas le temps de repasser chez eux d’aller tout de même au théâtre. Pour que les banlieusards puissent retourner chez eux en métro et les travailleurs ne pas se coucher tard, les représentations démarrent strictement à 20h00, à partir de 1955.
Les retardataires sont priés de suivre la représentation sur un écran télévisé placé dans le foyer, en attendant le premier ‘‘noir’’ leur permettant de rentrer dans la salle – généralement la fin du premier acte. Les pourboires sont interdits, car les ouvreuses et dames du vestiaire sont salariées par le TNP.
Le public se procure gratuitement la ‘‘bible’’ du spectacle, regroupant un résumé de la pièce et sa distribution, et généralement accompagnée d’un questionnaire dans lequel il est invité à donner son opinion. Pour 120 anciens frs, il acquiert le texte de la pièce, dans la « Collection du Répertoire » aux éditions de l’Arche, illustré des photos de Varda, de quoi se constituer une petite bibliothèque personnelle. Enfin, à partir de 1955, le mensuel Bref l’informe de l’actualité, des pièces, auteurs et membres de la troupe du TNP.
Les week-ends, en banlieue puis à Chaillot, à Noël et au jour de l’an, prolongent le temps de la rencontre entre public et acteurs hors de la seule représentation et renforcent, par le biais du repas, du dialogue et de la danse, la dimension collective du TNP. On retrouve le même principe dans les Nuits organisées un peu plus tard, à destination des associations et comités d’entreprises.
Entrée au TNP en 1956, Sonia Debeauvais est chargée de la conquête du public, par le biais, entre autres, des groupements et des associations. À Paris, comme à Avignon, elle parcourt les quartiers en tous sens, de comités d’entreprise en lycées, et devient la première à mettre en œuvre ce type de relations avec le public.
Pour Vilar, « il s’agit d’apporter aux hommes et aux femmes de la tâche ingrate et du labeur dur, les charmes d’un art dont ils n’auraient jamais dû, depuis le temps des cathédrales, et des Mystères, être sevrés. »