Peu importe que la comédie ou le drame, fidèle miroir de nos difficultés de 1960 ou 1961, soit une œuvre vieille de vingt siècles. Le problème de Cuba est traité dans le Nicomède de Corneille. Le problème du droit des gens devant la loi est traité dans Antigone de Sophocle. Le problème du général de Gaulle à l’égard des généraux rebelles est traité peut-être dans le Cinna de Corneille et dans l’Alcade de Zalamea
Lettre aux associations populaires pour la saison 1961-1962
Entre 1960 et 1963, le TNP cherche dans les classiques le moyen de commenter la situation politique française du moment. Beaucoup ont déjà cru voir dans Ubu (1958) ou Erik XIV (1959) des attaques contre le pouvoir personnel du général de Gaulle. C’est le cas aussi pour Antigone, L’Alcade de Zalamea et La guerre de Troie n’aura pas lieu.
Cela montre que Jean Vilar peine à trouver des pièces contemporaines capables de se saisir de l’actualité brûlante – exceptées Roses rouges pour moi et Arturo Ui.
La Paix est la seule qu’il ait écrite pour le TNP : une transposition moderne de l’œuvre d’Aristophane. Il y raille ses propres contemporains – hommes politiques, artistes et auteurs –, pour rendre le propos plus efficace de nos jours.
Pour renforcer cette transposition, les costumes de Jacques Le Marquet sont d’une grande modernité : les membres du chœur portent des blue-jeans et le coryphée une chemise-polo. Seule la Paix est en blanc, tandis que la déesse du théâtre fait du strip-tease. Plus insolite encore, Vilar-Trygée vole vers les cintres de Chaillot sur le dos d’un bousier – insecte qui se nourrit d’excréments –, dont les pattes articulées sont retenues par quatre fils d’acier.
Par la bouche du premier serviteur, Vilar critique le pouvoir gaulliste qui le paie très mal : « Mon cher TNP, qu’est-ce que ce sujet-là ? Que symbolise le bousier ? Je ne trouve aucune explication concernant cet insecte dans votre pourtant très culturel programme, que vous avez l’obligeance, malgré la modicité de votre subvention Malraux, de nous offrir gratuitement. Attention, il y va du sort de votre saison. Et je sais que vous ne gagnez pas lourd au TNP. »
L’allusion à de Gaulle est transparente, lorsque Hermès lâche : « On vous a compris » et Vilar ne se prive pas non plus d’attaquer les partis politiques, les députés et les sénateurs.
Malgré le scandale que voudrait en faire François Mauriac, La Paix n’est cependant pas un brûlot. Vilar est directeur d’un théâtre national : il jouit certes de sa liberté d’expression mais est tenu à une certaine réserve.
– La Paix
D’après Aristophane (-421)
Adaptation Jean Vilar
Création le 14 décembre 1961, Palais de Chaillot (Paris)
Mise en scène Jean Vilar
Costumes et scénographie Jacques Le Marquet
Musique originale Maurice Jarre
Avec René Alone (le fabricant de jarres), Lucien Arnaud (le professeur), Philippe Avron (2e serviteur), Bruno Balp (le vigneron), Katia Beaulieu (Théoria), Michel Bouquet (Hermès), Charles Denner (premier serviteur), Lucien Frégis (l’artisan), Nicole Gueden (Opora), Julien Guiomar (le marchand d’armes), Guy-Henry (le machino), Christiane Minazolli (la Paix), Paule Noëlle (première petite fille), Nutsy (2e petite fille), Dominique Paturel (le coryphée), Mario Pilar (Polémos), Jean-François Rémi (le navigateur), Georges Riquier (le devin), Guy Saint-Jean (Tumulte), Roger Trapp (l’O.S.) et Jean Vilar (Trycée).
Le chœur Michel Barbey, Jacques Blot, Laurent Brancaz, Willy Bruno, Claude Confortès, Philippe Dehesdin, Jacques Delroisse, Jean-Pierre Duclos, Claude Evrard, Jean Mondain, Jean Obé, Pierre Ory et Gilbert Robin.
28 représentations, 56 901 spectateurs (1961-1962)