La mort ne grandit pas le comédien.
Notre art est mouvement ; elle nous fige. Nous sommes incarnation ; elle détruit notre chair. Nous tentons d’avoir l’âme d’un personnage ; la nôtre s’en va. Mieux encore parfois que le langage, notre œil exprime angoisses et joies ; la paupière le couvre. Nos mains mobiles ou immobiles vivent sur le plateau du sang du personnage ; elles sont à jamais durcies. Nous sommes souplesse, décontraction, finesse ; nous voilà contractés et hautains.
Couvrez donc le visage du comédien mort.
Vilar, « Le comédien et la mort », De la Tradition théâtrale, 1955
Parti à Sète, dans sa villa « Midi le juste » – si bien nommée en référence au Cimetière marin de Paul Valéry –, pour relire les épreuves de son livre Chronique Romanesque, Jean Vilar meurt d’épuisement, dans son sommeil, le 28 mai 1971.
Il repose au cimetière marin, situé sur les pentes du Mont-Saint-Clair, à quelques mètres de Valéry. Les obsèques se déroulent dans une grande simplicité : une cinquantaine de personnes suivent le cercueil par un chemin étroit, ombragé de pins et de chênes. La foule sétoise a envahi le cimetière, dans un grand recueillement.
Devant le caveau de famille, Henri Duffaut, maire d’Avignon, rend hommage à « l’homme de théâtre, l’un des plus grands de notre époque, qui a révolutionné notre art et a su conduire la jeunesse au théâtre », tandis que Georges Wilson prononce le dernier adieu « au nom des comédiens du spectacle, des frères de travail ».
Dans ce petit cimetière qui ressemble à une scène inclinée, face au parterre démesuré de la mer, sous le soleil et les étoiles, te voici en paix, au bout de ta courte vie, toute consacrée à donner aux autres la beauté. Adieu, et merci. On écrira à ton propos les noms de tous les grands qui t’ont précédé dans le travail du théâtre. Aucun des plus grands n’a été aussi grand que toi.
René Barjavel, Journal du Dimanche, 30 mai 1971