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1960

La Résistible Ascension d’Arturo Ui

Il faut que le public voie qu’il y a toujours, dans un pays donné, des gens qui s’unissent pour faire passer en fraude une dictature, ce que Brecht nomme la ‘‘chose immonde’’.

Les jeunes – même parmi les comédiens – ne savent pas ce que c’est que Hitler, ce que c’est que le fascisme. Cette pièce s’adresse à la jeunesse. Il est dans mes projets de la présenter aux matinées étudiantes du jeudi…

Interview de Vilar par Nicole Zand, Libération, 13 septembre 1960

Le 8 novembre 1960, La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht ouvre la dixième saison du TNP.

La troupe du Berliner Ensemble de Brecht est déjà venue en juin présenter la pièce au Théâtre des Nations. La mise en scène de Peter Palitzsh et Manfred Wekwerth travestit les chefs nazis en clowns hystériques. Ekkard Schall, dans le rôle d’Arturo, avec mèche et moustache, est un pantin monstrueux mais très drôle, à la Charlie Chaplin.

Vilar prend le parti d’effacer le comique de la pièce. Les nazis sont ridiculisés, mais restent inquiétants. Il joue un quadragénaire souffreteux, malingre, médiocre, petit gangster minable, mais qui parvient à se hisser au pouvoir grâce au tout-puissant trust… des choux-fleurs.

Il retire à son personnage sa moustache et son imperméable, afin d’effacer toute ressemblance physique avec Hitler et lui rendre toute son actualité. Il garde en revanche sa mèche « parce qu’elle donne l’air asexué, ambigu » et l’affuble d’un complet croisé à revers larges, qui rappelle les gangsters d’Al Capone.

Le ridicule des personnages se glisse dans les costumes et les accessoires : les pantalons sont trop courts, les chapeaux trop mous, les vestes rayées.

Le but de Vilar est de montrer au public le processus du fascisme.

Une part des spectateurs fait le lien avec la France du général de Gaulle, en qui certains veulent voir un dictateur en devenir, malgré ses soixante-dix ans.

Arturo Ui est un immense succès populaire, avec 2 412 spectateurs en moyenne par soirée, ce qui le place loin devant Don Juan (1 593) et Le Cid (1 419).

Vous, apprenez à voir, au lieu de regarder

Bêtement. Agissez au lieu de bavarder.

Voilà ce qui a failli dominer une fois le monde.

Les peuples ont fini par en avoir raison.

Mais nul ne doit chanter victoire hors de saison :

Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la chose immonde.

Arturo Ui, épilogue

 

– La Résistible ascension d’Arturo Ui

De Bertolt Brecht (1957)
Adaptation Armand Jacob
Création le 8 novembre 1960, Palais de Chaillot (Paris)
Mise en scène Jean Vilar
Scénographie André Acquart
Costumes André Acquart
Musique Hans-Dieter Hosalla
Affiche Siné

Avec Lucien Arnaud (Caruther), Jacques Butin (Mulberry), Maurice Chevit (Butcher), Charles Denner (Emmanuel Gori), Georges Géret (Ernesto Roma), Julien Guiomar (O’Casey, le défenseur), Philippe Kellerson (Goodwill), Jacques Lalande (1er journaliste, le pasteur), Charles Lavialle (Gaffles), Gérard Lorin (l’accusé Fish), Christiane Minazzoli (Betty Dollfoot), Jean Mondain (un domestique), Jean-Paul Moulinot (Flake), Dominique Paturel (le bonimenteur, Ted Ragg), Élie Pressmann (le jeune Inna), Marcelle Ranson (une femme), Jean-François Rémi (Clark), René Renot (2e journaliste, l’accusé Fish), Roger Royer (le juge), Guy Saint-Jean (Ignace Dolfoot), Jacques Seiler (Hindsborough junior), Véronique Silver (Nini-Fleur des quais), Jean Topart (Sheet), Jean Vilar (Arturo Ui) et Georges Wilson (le vieil Hindsborough).

Avec Angelo Bardi, Jacques Bertrand, Jacques Blot, Jean Bouchaud, Christian Buhr, Maurice Coussonneau, Michel Debourges, Guy Henri et Pascal Tersou.

88 représentations, 212 296 spectateurs (1960-1963)

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