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1958

Ubu

Pourquoi ai-je monté Ubu au TNP ? C’est qu’il est très agréable d’aller de Corneille à Jarry, du courage « civique » à cette autre vertu, la cruauté « civique ». Et puis Ubu est l’un des personnages les plus extraordinaires que l’on puisse rencontrer au théâtre. Plus qu’à Falstaff, plus qu’à Don Juan, c’est à Don Quichotte qu’il fait penser. À un Don Quichotte hénaurme.

Jean Vilar, Bref n°14, mars 1958

Le 5 mars 1958, Jean Vilar crée Ubu au Palais de Chaillot. Il réunit dans un seul spectacle de 2h30, la trilogie Ubu roi, Ubu enchaîné et Ubu sur la butte, afin d’offrir une idée suffisante de l’œuvre de Jarry. D’où les contractions apportées à certaines scènes et l’importance qu’il a fallu donner à la musique de Maurice Jarre.

La musique doit essentiellement avoir un rôle de lien, faire fonction de rideau sonore entre les scènes très courtes et nombreuses. Elle ouvre la scène qui va venir et la présente – par exemple, c’est une polka qui annonce la scène où Ubu va se laisser surprendre en Pologne. Jarre veut la musique la plus suggestive possible pour qu’elle puisse laisser au texte toute sa force. Elle est enfin visuelle, car les instrumentistes sont présents sur scène : une petite flûte, un cornet à piston, un trombone, un grand hélicon, une grosse caisse, un tambour militaire…

Jarre est aussi parolier. À l’origine deux chansons venaient ponctuer la partition de Claude Terrasse. À Chaillot, on en entend six : La chanson du décervelage, La Barcarolle, Le Tango du plumeau, La chanson polonaise, La prison et La chanson des forçats.

Les costumes de Jacques Lagrange respectent les dessins de Jarry.  Pour les besoins de la pièce, il en a dessiné 90 et le fameux « cheval à phynances ». La gidouille de l’ « hénaurme » Père Ubu devant se voir sur scène, c’est sur un gilet de sauvetage que l’on habille et déshabille Georges Wilson. Lagrange voit en Mère Ubu une mégère des halles qui tourne à la Lady Macbeth et pense alors que le costume de Rosy Varte doit prendre la forme d’une citrouille à plusieurs étages.

En l’absence de dessous de scène, Lagrange doit aussi penser à rehausser cette dernière pour y construire la fameuse trappe par laquelle passent tous ceux qui déplaisent à sa majesté Ubu.

En montant cette pièce, Vilar a le sentiment de monter une œuvre d’aujourd’hui, une haute satire, saine et éclatante. La scène du commandement fait naître des rapprochements avec la situation politique du moment, le retour au pouvoir du général de Gaulle.

 

– Ubu

De Alfred Jarry (1896)
Création le 5 mars 1958, Palais de Chaillot (Paris)
Mise en scène Jean Vilar
Scénographie Jacques Lagrange
Costumes Jacques Lagrange
Musique originale Maurice Jarre
Paroles Maurice Jarre
Musiciens Orchestre de l’Association des Concerts Pasdeloup

Avec Lucien Arnaud (le paysan Stanislas, le Vizir), Angelo Bardi (Giron), Jacques Blot (Pile), Jean-François Brossard (Grand-Duc de Poser/2e magistrat), Jean Champion (1er magistrat/2e soldat polonais/le doyen des forçats), Maurice Coussonneau (l’ours, 1er homme libre), Charles Denner (Comte de Vitepsk/Caporal Pissedoux), Christiane Desbois (Ladislas/Margrave de Thorn), Yves Gasc (Bougrelas), Julien Guiomar (Bordure/Soliman), Jacques Lalande (Prince de Podolie/1er soldat polonais/un argousin), Charles Lavialle (le roi Vanceslas), Raymond Lopé (3e financier), Jean-Paul Moulinot (1er financier/le président), Léo Noël (le chanteur), Jean-François Rémi (le messager/Duc de Courlande/Rensky/2e homme libre) Georges Riquier (Général Lasky/l’avocat-général), Guy Saint-Jean (le Czar Alexis/3e homme libre), André Schlesser (Cotice/l’huissier),), Jacques Seiler (2e financier/un paysan/l’avocat défenseur), Pascal Tersou (1er gendarme), Rosy Varte (Mère Ubu) Georges Wilson (Père Ubu) et Cavaliers, gendarmes, huissiers, forçats.

41 représentations, 83 521 spectateurs (1958-1960)

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