Il y a trente ans disparaissait Silvia Monfort.

7 juin 1923 – 30 mars 1991

Fidèle de Jean Vilar et du TNP, elle est de ceux qui ont participé à la naissance du Festival d’Avignon et se souviendront longtemps après de cette première Semaine d’Art 1947.

« Qui d’autre que lui crût au Festival d’Avignon ?
Nous partîmes une quinzaine mais, en arrivant au port, nous nous retrouvâmes chez nous, sans confort. La municipalité nourrissait les comédiens, nous étions couchés chez l’habitant. J’étais logée dans une petite pièce du Palais, sans table ni porte-manteau, parmi les masques mortuaires des papes et des mains de plâtre. Lui avait préféré une modeste chambre à l’Hôtel de France. Il demeura fidèle à cet hôtel jusqu’au dernier jour. Nous étions quinze peut-être, en tout, pour jouer trois pièces, en assurer la régie, la diffusion, la publicité. Mais Vilar ne se trompait pas dans ses choix. Il avait pour auteur Maurice Clavel, pour adaptateur Jean Curtis, jeune normalien qui, le soir, étendu dans l’herbe du Jardin d’Urbain V, où nous répétions Tobie et Sara, griffonnait sur des bouts de papier les avant-premières qu’il portait à bicyclette le lendemain dans les salles de rédaction du département.
Jeanne Moreau et moi, qui n’étions presque pas montées sur scène, savions dès à présent qu’en étant choisies par lui nous étions d’une manière bien imprécise en notre esprit des élues. »

Extrait de L’Adieu de Silvia à Jean Vilar, 30 mai 1971

Elle connait très tôt sa vocation pour le théâtre et le jeu, alors que son père la destinait à travailler à la manufacture des Gobelins, elle suit des cours auprès des comédiens Jean Hervé et Jean Valcourt.

Engagée dès ses 16 ans dans la résistance aux côtés de Maurice Clavel, elle est de ces tempéraments décidés et dévoués qui oeuvrent sans faillir à faire bouger les lignes.
Son engagement sera le fil rouge d’une vie dédiée à la décentralisation de la culture et au développement d’un théâtre populaire ; d’abord aux côtés de Jean Vilar, avec qui elle échangera jusqu’à la mort de celui-ci, puis auprès de Jean Danet et des Tréteaux de France, avec qui elle participera à des représentations à travers tout le territoire.
À son tour, elle dirigera différents théâtres, à commencer par le Carré Thorigny dans le quartier du Marais à Paris, où elle participera notamment à faire du cirque une discipline culturelle au même titre que le théâtre.

Traversée par la flamme des grandes héroïnes tragiques, ses interprétations d’Électre, de Penthésilée, de Bérénice mais aussi et surtout de Phèdre marqueront les esprits et feront l’admiration de nombreux metteurs en scène, dont Cocteau, qui le premier l’engagea à 20 ans dans sa pièce l’Aigle à deux têtes, puis dans le film qui en découla.

« Je me suis toujours sentie plus proche des adolescentes assoiffées d’absolu que des femmes au cœur partagé. Je préfère Électre à Clytemnestre. J’ai aimé d’amour fou l’Alarica du Mal court, l’Éponine des Misérables et récemment Pucelle d’Audiberti. Mais enfin, cela ne m’empêche pas de connaître de belles histoires avec celles qu’on n’épouserait pas. De toutes les héroïnes, celle peut-être qui m’exalta le mieux fut la reine des Amazones, Penthésilée. Lorsqu’elle se croit vaincue par Achille, elle refuse de le suivre dans son royaume. C’est chez elle qu’elle le voulait roi. Alors elle le déchire de ses ongles, le dévore de ses dents, et dit : Toutes les femmes jurent à leurs amants : je te mangerais tant je t’aime — eh bien moi, je l’ai fait. »

Auprès de Vilar, elle sera d’abord la Sara de Tobie et Sara lors de la Semaine d’Art 1947, puis on la retrouvera dans La Mort de Danton et dans Shéhérazade. Elle sera une emblématique Chimène dans Le Cid, partageant la scène avec Gérard Philipe dans d’importantes tournées en Europe de l’Est. Enfin, elle jouera dans Cinna et dans Le Mariage de Figaro, pièce pour laquelle elle montrera une palette de jeu inédite, que seul Vilar pouvait lui proposer.

« Vilar seul avait l’audace de faire interpréter certains rôles, en apparent contre-emploi. Réputée tragédienne, j’abordai ce rôle charmant gracieux, aux émois futiles, le cœur battant de trac. Et vint le jour de la première dans la cour du Palais des Papes. À l’instant où le comte fouille le cabinet secret de Rosine pour y découvrir Chérubin, qu’il n’y trouve pas, j’inventai un rire de gêne, de surprise et de soulagement qui fit rire en écho toute la salle, trois mille personnes. Je n’avais jusqu’à ce jour jamais fait rire sur scène. Et je ne soupçonnais pas que ce fût une chose possible. Cela me parut si beau, si exaltant, inattendu comme un miracle mais évident comme un fait acquis, que je me sentis prête à faire ‘’n’importe quoi’’ pour les entendre rire. »

Elle marquera ainsi de sa prestance et de sa voix les premières années du festival d’Avignon et deviendra un membre emblématique et assidu de la troupe du TNP.

Elle se tournera un temps vers le cinéma, le temps de quelques films avec Jean-Paul Chanois, parmi lesquels Le Cas du docteur Laurent ou encore Les Misérables, avant de revenir au théâtre. Elle jouera également dans La pointe courte, le premier long métrage d’Agnès Varda, alors photographe officielle du TNP.

Silvia Monfort est aussi une autrice, elle écrira son premier roman en 1946. Cinq autres romans suivront, tout au long d’un incroyable parcours théâtral et littéraire et d’une vie d’engagement incessant.

Par sa détermination inébranlable, elle est plus que jamais l’incarnation d’une culture et d’un théâtre courageux et essentiels.

Bibliographie :

Romans

Il ne m’arrivera rien, Éditions Fontaine, Paris, 1946

Aimer qui vous aima, Éditions Julliard, Paris, 1951

Le Droit chemin, Éditions Julliard, Paris, 1954

La Raia (Les Mains pleines de doigts), Éditions Julliard, Paris, 1959

Les Ânes rouges, Éditions Julliard en 1966, puis Éditions du Rocher en 2003

Une allure pour l’amour (L’Amble), Éditions Julliard en 1971, puis Le Livre de poche en 1987

Correspondance

Lettres à Pierre 1965-1991, réunies par Danielle Netter, Éditions du Rocher, Monaco, 2003

Préfaces

Noël Devaulx : Le Cirque à l’ancienne, Henri Veryer Éditeur, 1977

Racine : Phèdre, Le Livre de poche, 1985

Corneille : Cinna, Le Livre de poche, 1987

Sur Silvia Monfort

Françoise Piazza : Silvia Monfort : vivre debout (biographie et témoignages), Éditions Didier Carpentier, Paris, 2011