Certains ne nous pardonnent pas d’avoir sans théorie ou préméditation rendu à L’Avare une saveur de farce italienne, en dépit de la fausse tradition du XIXe siècle qui voulait en faire un drame comico-réaliste. […] Le travail des répétitions m’a conduit à une interprétation générale d’une œuvre qui n’est pas loin d’un vaudeville. C’était le jugement de Jouvet. […] Pour nous donc, L’Avare n’est pas une pièce à caractère. L’œuvre ne comporte aucune leçon, drôle ou grave ; elle est strictement un de nos plus sûrs divertissements.
Jean Vilar, Arts, 7 mai 1952
Le 30 avril 1952, pour inaugurer le Palais de Chaillot, libéré par les Nations unies parties à New-York, Jean Vilar monte L’Avare de Molière.
Paris a en mémoire la mise en scène et l’interprétation de Charles Dullin. Comme lui, Vilar revient vers la simplicité. Il écarte les décors trop chargés du XIXe siècle et s’appuie sur les indications du texte d’origine : une table, un fauteuil, une paire de lunettes, une écritoire, une cassette. Seule l’interprétation n’est pas la même : tandis que Dullin fait d’Harpagon un affreux tyran, Vilar le rend plus « aimable », ce qui tend à éloigner la pièce du drame pour la rapprocher du divertissement.
Malgré de premières critiques négatives, la pièce est reprise plusieurs fois, dès le mois de juillet à Avignon, dans le jardin Urbain V. Au succès de la mise en scène s’ajoute la performance d’acteur de Vilar. Il va, vient, court, s’assied, tourne le dos, toussote, grommelle, chantonne, se mouche, épie, se cache, revient… Tout son corps est en mouvement et participe à l’action. C’est aussi la révélation au grand public de Daniel Sorano, dans le rôle de La Flèche.
Lorsque Vilar reprend la pièce en mars 1962, il a enfin l’âge du rôle, tandis que la distribution est totalement remaniée. En 1963, quand il quitte le TNP, 216 395 spectateurs ont vu L’Avare. Ce chiffre le place en troisième position des succès de la troupe, après Don Juan et Le Cid.
Avec sa propre compagnie privée, Vilar la rejoue en 1966 lors du Festival du Marais.
– L’Avare
De Molière (1668)
Création le 30 avril 1952, Palais de Chaillot (Paris)
Mise en scène Jean Vilar
Scénographie Léon Gischia
Costumes Léon Gischia
Lumières Pierre Saveron
Son Maurice Coussonneau
Musique Maurice Jarre
Collaboration aux costumes Alyette Samazeuilh
Construction Jacques Le Marquet
Réalisation des costumes Alyette Samazeuilh et Henri Lebrun
Régie générale René Besson, Jean-Jacques de Kerday, Marcel Magnat
Régie André Bataille, Jean Beaufort
Avec René Belloc (le commissaire), Monique Chaumette (Elise), Michelle Clergue (Dame Claude), Maurice Coussonneau (Brindavoine), Charles Denner (Maître Simon), Jean Deschamps (Valère), Lucienne Le Marchand (Frosine), Jean Leuvrais (Anselme), Gérard Moiny (le clerc), Jean-Paul Moulinot (Maître Jacques), Jean Négroni (Cléante), André Schlesser (La Merluche), Daniel Sorano (La Flèche), Françoise Spira (Marianne) et Jean Vilar (Harpagon).
157 représentations, 216 395 spectateurs (1952-1963)
