J’ai toujours pensé (suis-je le seul ?) que De Gaulle en vous proposant les Affaires Culturelles ignorait, que dans les circonstances du moment, il ne vous offrait que du vent.
Jean Vilar, projet de lettre à Malraux, mai 1971
En mai 1971, Jean Vilar est très fatigué. Tous ceux qui l’ont approché ces derniers mois ont remarqué combien il a soudain vieilli : maigre, pâle, il apparaît dans une émission télévisée, André Malraux, la légende du siècle, aux côtés de Michel Bouquet et Alain Cuny, pour lire des textes de l’auteur.
Dans la septième partie, Vilar dialogue avec l’ancien Ministre des Affaires Culturelles sur des sujets très divers : Mao, la liberté, Trotsky, la censure, Staline, la démocratie, Eisenstein, le théâtre, la comparaison entre les systèmes socialistes et communistes. Ils sont en désaccord profond mais se respectent, s’estiment peut-être.
Le premier contact entre les deux hommes remonte à 1949 : Vilar, exaspéré par les retards et les hésitations du groupe gaulliste au Conseil municipal d’Avignon, demande à Malraux d’intervenir au niveau national afin que celui-ci n’entrave pas la préparation du Festival.
Dès lors, les relations entre les deux hommes sont courtoises et empreintes de respect : durant la tournée du TNP en Finlande, en 1956, le succès du Triomphe de l’amour remonte aux oreilles de Malraux – « À propos de Marivaux, j’ai entendu des cantiques. On me dit que vous y jouez comme Braque peint et les femmes comme des personnages de Mozart. Que cette rumeur vous soit transmise, avec mon amical souvenir ».
Mais les liens se gâtent au moment où Malraux devient ministre en 1959 : il n’augmente pas la subvention du TNP ni ne modifie le cahier des charges, ce qui est une façon de pousser Vilar vers la sortie.
En 1967, le ministre le charge de la réforme des théâtres lyriques nationaux : c’est une tentative de récupération d’un homme de gauche par un gouvernement de droite. Suite au discours du général du 30 mai 1968, les relations avec Malraux semblent rompues.
Après l’enregistrement de l’émission télévisée, Vilar rédige un projet de lettre à Malraux : certes, la liberté de création n’existe pas dans les pays de l’Est mais elle est bien entravée selon lui dans les pays de l’Ouest et l’aventure du TNP est là pour le prouver ; tout régime politique quel qu’il soit entrave la liberté de l’artiste.
Non envoyée, la lettre est transmise après sa mort à son destinataire grâce à Paul Puaux. Malraux fit savoir qu’il y répondrait un jour par un livre, ce qui ne s’est pas fait.
