J’avais établi une liste d’hommes de théâtre avec qui j’aurais aimé travailler ; je les ai tous passés au crible. C’est Jean Vilar qui est resté. Je suis allé le voir et lui ai demandé de me joindre à sa troupe. Il a accepté. Et nous sommes partis en Avignon.
Gérard Philipe, Arts du 17 juillet 1952
Jean Vilar rencontre pour la première fois Gérard Philipe en 1948. Impressionné par son jeu dans Caligula de Camus et dans Les Épiphanies de Pichette, il lui propose de jouer Le Cid de Corneille, lors du 2e Festival d’Avignon. L’acteur décline l’offre : « La tragédie ? La tragédie ? Mais, voyons, je ne suis pas fait pour ça ». Vilar est furieux : « Quel petit con ! Eh bien, décidons une fois pour toutes qu’on se passera de vedettes.»
En novembre 1950, c’est au tour de Philipe de venir trouver Vilar, dans sa loge du Théâtre de l’Atelier, où il joue Henri IV de Pirandello.
Tout en me démaquillant ce soir-là, je regardais du coin de l’œil ce garçon célèbre que je connaissais mal. Grand, dressé, le geste rare, le regard clair et franc, sa présence était faite à la fois de force calme et de fragilité. Comme je lui disais que je préparais le Ve Festival d’Avignon, il me répondit qu’il serait à Avignon si je le voulais bien. Deux jours après, je lui remettais, dans la traduction de l’Édition Aubier, Prinz von Homburg. Il répondit oui. J’ajoutais : Et le Cid ? Il baissa la tête, sourit, puis se tut.
Il aura donc fallu cette deuxième rencontre pour que démarre l’aventure entre le Sétois et le Cannois. De 1951 à 1959, Philipe interprète 120 fois Le Prince de Hombourg, 199 fois Le Cid et 99 fois Lorenzaccio. Il enchaîne 84 fois Ruy Blas, 34 fois Les Caprices de Marianne et termine sa carrière avec On ne badine pas avec l’amour. En plus de quelques-uns des plus beaux rôles du répertoire, Vilar lui confie la mise en scène de trois spectacles du TNP : Nucléa de Pichette, Lorenzaccio de Musset et La Nouvelle Mandragore de Jean Vauthier (1952).
Comme le montre leur correspondance, c’est un lien quasi filial qui unit les deux hommes, une relation faite d’affection et d’attentions réciproques. Vilar l’appelle « brave garçon » ou « fiston », et lui permet de mener sa double carrière au cinéma, tandis que Philipe veille sur sa santé et l’encourage au repos, lorsqu’il lui semble que la machine TNP l’entraîne. Tous les deux partagent les mêmes visions concernant le théâtre populaire. Lorsqu’il faut un nouveau Richard II, c’est tout naturellement vers Gérard que Jean se tourne.
Gérard Philipe au Festival et au TNP :
1951 Le Cid de Pierre Corneille de Jean Vilar (Don Rodrigue)
1951 Le Prince de Hombourg de Heinrich von Kleist, mise en scène de Jean Vilar (Prince Frédéric Arthur de Hombourg)
1951 La Calandria de Bernardo Divizio da Bibbiena, mise en scène de René Dupuy (Artemona/le prologue)
1951 Mère Courage de Bertolt Brecht, mise en scène de Jean Vilar (Eilif, l’aîné)
1952 Nucléa de Henri Pichette, mise en scène de Gérard Philipe et Jean Vilar (Tellur)
1952 Lorenzaccio d’Alfred de Musset, mise en scène de Gérard Philipe (Lorenzo)
1952 La Nouvelle Mandragore de Jean Vauthier, mise en scène de Gérard Philipe (Callimaque)
1954 Richard II de William Shakespeare, mise en scène de Jean Vilar (Richard II)
1954 Ruy Blas de Victor Hugo, mise en scène de Jean Vilar (Ruy Blas)
1958 Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset, mise en scène de Jean Vilar (Octave)
1958 On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, mise en scène de René Clair (Perdican)