Née des contraintes de la Cour d’honneur, l’esthétique vilarienne se retrouve à Chaillot.
Ce sont deux vastes salles – comptant jusqu’à 3 187 places dans la Cour, contre 2 800 environ à Chaillot – qui le contraignent à choisir des œuvres classiques (L’Avare) plutôt que des œuvres contemporaines au succès plus difficile (Nucléa).
Aucun décor ne pouvant rivaliser ni faire oublier le mur monumental du Palais – ses 40m de long et ses 30m de haut –, il décide de s’en passer.
Le costume aux couleurs franches permet au spectateur, quelle que soit sa place dans la salle, de saisir l’atmosphère de la pièce – noir et rouge dans Macbeth, il représente tantôt le deuil, tantôt le sang. Il permet aussi d’identifier le personnage qui le porte, de le situer dans le groupe auquel il appartient – dans Richard II, la vieille Angleterre porte la barbe et la robe vénérable, tandis que les jeunes favoris, au visage glabre, sont en pourpoints et en collants.
Pour mettre en valeur les costumes et leur donner du relief, Saveron utilise la lumière blanche des projecteurs – qui se fait bleue pour les scènes nocturnes ; ainsi en va-t-il des adieux entre le Cid et Chimène. À Avignon déjà, elle n’éclaire que les personnages, laissant le reste dans l’obscurité, notamment les imposants murs du XIVe siècle. Vilar refusant le rideau, l’artifice permet également de faire apparaître puis disparaître les personnages. En l’absence de décors, l’éclairage aide aussi à projeter la guillotine de La Mort de Danton sur le mur du Palais, la prison de Richard II sur la scène de Chaillot, et autorise la simultanéité des scènes sur le plateau.
La musique évoque quant à elle un temps et un lieu – les guitares de Ruy Blas appellent l’Espagne, les cornemuses de Macbeth l’Écosse, Monteverdi et Lulli le XVIIe siècle du Cid. Elle comble les silences – celui du Prince de Hombourg élevant au ciel sa couronne de laurier – et les déplacements des comédiens d’un bout à l’autre du plateau – 10m de large sur 8m de profondeur à Avignon, 35m sur 13 à Chaillot. Les problèmes d’acoustique encouragent Maurice Jarre à utiliser la stéréophonie, procédé technique permettant d’immerger le spectateur dans un décor sonore : pour l’ouverture de Lorenzaccio, quatre groupes de trompettes, répartis sur scène et dans la salle, jouent en canon.
Bien sûr, Vilar compte aussi sur l’imagination du spectateur, que le costume, la lumière et la musique ne font que stimuler.