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1951

Mère Courage, Vilar et Brecht

Jouer comme premier spectacle Mère Courage, un auteur non pas seulement communiste mais vivant à Berlin-Est, directeur d’un théâtre national de la République Démocratique Allemande, c’était en 1951 vouloir provoquer toutes les colères. Je ne le savais pas. Je vous jure qu’il faut ignorer beaucoup de choses pour agir.

Un homme, une œuvre : Jean Vilar, émission radiophonique, 1966

Le 18 novembre 1951, Vilar ouvre le tout nouveau TNP à Suresnes avec Mère Courage de Brecht en alternance avec Le Cid de Corneille.

Le choix de Vilar pour Brecht n’est pas dicté par le cahier des charges du TNP, qui l’oblige à monter un auteur contemporain dans l’année, mais par sa volonté de mettre en scène une œuvre écrite, selon lui, pour les masses d’aujourd’hui. En choisissant un auteur vivant en RDA, Vilar s’expose à des accusations de sympathies communistes.

Germaine Montero, dont les talents de chanteuse sont tout aussi reconnus que ses talents de comédienne, est choisie pour le rôle-titre. Après une tournée en banlieue, la pièce entre à Chaillot en novembre 1952.

Cette première version est un échec : le TNP joue souvent devant des salles à demi vides. Mais le succès est là à partir de 1954, avec une mise en scène revue et dans une distribution modifiée, à moins qu’il soit dû à l’engouement du public suscité par la représentation du Berliner Ensemble de Brecht, au Châtelet, la même année. Lors d’une nouvelle tournée en banlieue en 1957, le TNP peut même compter sur le soutien de l’épouse de Brecht et Mère Courage dans la version allemande, Helen Weigel. Le succès est particulièrement au rendez-vous dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, en 1959 et 1960.

À l’éclairage à pleins feux du Berliner Ensemble, la lumière du TNP de Pierre Saveron est faite d’éclairages mouvants. Aux teintes ternes et désolées des costumes, exigées par Brecht, répondent celles gaiement bariolées du peintre Édouard Pignon. Germaine Montero passe pour être une Mère Courage plus gaie et optimiste que celle d’Helen Weigel. Mais ce sont surtout deux conceptions différentes du théâtre populaire qui s’opposent. Brecht élabore un théâtre politique et didactique qui fait appel à l’esprit critique du spectateur sur les grandes problématiques de son époque. Vilar présente un théâtre de l’illusion, dans la longue tradition occidentale, dénoncé justement par Brecht.

Les rapports personnels de Vilar et de Brecht sont compliqués, mais le premier considère toujours le second comme « un des plus grands poètes dramatiques de notre temps ».

 

– Mère Courage

De Bertolt Brecht (1941)
Adaptation et traduction Geneviève Serreau et Benno Besson
Création le 18 novembre 1951, Théâtre de la Cité Jardins de Suresnes (TNP)
Mise en scène Jean Vilar
Costumes Édouard Pignon
Lumière Pierre Saveron
Son Maurice Coussonneau
Musique Paul Dessaù
Construction Jacques Le Marquet
Régie générale René Besson, Jean-Jacques de Kerday, Marcel Magnat
Régie plateau Jean-Jacques de Kerday
Régie André Bataille, André Collet

Avec Lucien Arnaud (le capitaine/un paysan), René Belloc (l’intendant, au 3ème tableau), Monique Chaumette (Yvette), Jean Chevalier (un soldat), Maurice Coussonneau (un jeune paysan/le fils), Charles Denner (le recruteur/le sergent-chef/un soldat ivre), Jean Doude (2ème soldat, au 5ème tableau), Jean-Claude Hullot (2ème soldat), Lucienne Le Marchand (une vieille paysanne/une voix en coulisse), Jean Le Poulain (l’aumônier), Germaine Montero (Mère Courage), Jean-Paul Moulinot (le cuisinier), Jean Négroni (Petitsuisse/le cadet), François Perrot (l’intendant, au 6e tableau), Gérard Philipe (Eilif/l’aîné), Alice Reichen (une paysanne), Françoise Spira (Cattrine), Étienne De Swarte (l’homme au bandeau/1er soldat/un soldat plus âgé), Jean Vilar (L’annonceur/le colonel/une voix) et Geymond Vital (le caporal/un paysan).

104 représentations, 141 114 spectateurs (1951-1960)

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