On voudra bien admettre qu’il est extrêmement ingrat d’être responsable pendant douze ans d’un théâtre populaire et d’une culture populaire par le théâtre au sein d’une société qui, de toute évidence, ne l’est pas.
Ce travail à contre-courant a une limite dans le temps. J’avais à dire si je souhaitais, si je sollicitais le renouvellement de mon mandat. J’ai répondu : non.
Le 21 février 1963, Jean Vilar annonce qu’il ne renouvellera pas son contrat de directeur du TNP qui prend fin le 31 août. Si l’on en juge par les nombreuses lettres reçues dans les jours qui suivent, la nouvelle suscite la surprise et l’émotion. Elles proviennent de comédiens, de collaborateurs, d’associations, d’élèves et leurs professeurs. Ils sont nombreux à lui témoigner leur reconnaissance, à partir d’un souvenir qui les a marqués pour toujours, dans la Cour d’honneur ou au Palais de Chaillot. Les commentaires dans les journaux sont innombrables et arrivent de tous les pays visités par le TNP.
Je suis atterrée ! J’apprends à l’instant que la radio annonce votre départ. Je n’arrive pas à y croire ! Quel que soit l’avenir, je voudrais vous redire que je vous suis personnellement reconnaissante d’avoir accepté de sacrifier douze ans de votre vie pour révéler la ‘‘fête du théâtre’’ à ceux qui en étaient frustrés. À lundi. Bien tristement.
Jeanne Laurent
Le succès populaire du TNP sur douze années est indéniable : 3 399 représentations devant 5 239 864 spectateurs, 37 œuvres dramatiques françaises et 20 œuvres dramatiques étrangères inscrites à son répertoire.
Mais Vilar est fatigué de devoir lutter contre le ministère. La subvention est trop modeste, ce qui le condamne à faire le plein chaque soir, car les prix des places sont bas. Il ne peut pas contenter ses comédiens, machinistes et administrateurs qui lui demandent, à juste titre, de meilleurs salaires, et finissent par aller travailler ailleurs. Les dettes s’accumulent, elles seront encore là après sa mort.
Son départ s’explique aussi par un certain manque de renouvellement, son échec d’imposer au public des œuvres contemporaines dans la trop grande salle de Chaillot et dans la salle plus modeste de Récamier.
Le 1er septembre 1963, Georges Wilson prend la direction du TNP. Pour Vilar, c’est une nouvelle vie qui commence.