Antigone ouvre le Festival d’Avignon 2017 dans la Cour d’honneur avec une mise en scène japonaise de Satoshi Miyagi. En 1960, Jean Vilar présentait cette pièce de Sophocle dans ce même lieu, avec notamment Catherine Sellers (Antigone) et Georges Wilson (Créon). Au rez-de-chaussée de la Maison Jean Vilar, costumes, maquettes, photos et vidéos témoignent de cette création.
Commissariat d’Agathe Sanjuan.
Pourquoi l’Antigone de Sophocle ?
par Jean Vilar
Nous avons voulu inviter le spectateur – et mieux encore : l’auditeur, à réfléchir. Agir sur lui en excluant de notre travail le “numéro” de metteur en scène ou d’acteurs, et en laissant tomber le “frisson tragique”. Agir sur sa réflexion par la leçon claire de l’œuvre, par une conduite lente, mesurée et sans cris – dits tragiques – de cette leçon. Provoquer la réflexion du spectateur et non pas jouer sur ses nerfs ni sur ses facultés émotives.
Une fois encore, il s’agissait d’instruire ce public sans l’ennuyer ; de le séduire donc, mais par les moyens les plus simples et les plus raisonnables du théâtre ; d’en appeler à sa clairvoyance de préférence à ses passions.
[…] Quel intérêt peut avoir pour ce public l’œuvre de Sophocle ? Elle l’invite à réfléchir sur les conséquences que comporte le respect absolu des lois civiques. Appliquées à la lettre et donc loin parfois de l’esprit qui les a fait naître, elles aliènent plus qu’elles ne préservent l’homme, elles tuent plus les individus qu’elles n’aident à vivre en société. Et ceci quel que soit le régime où ces lois pèsent…
Antigone invite à réfléchir sur le respect dû à des lois généreuses, “qui ne sont pas écrites”, qui n’ont jamais été écrites et qui ne le seront sans doute jamais. Ce sont les lois d’humanité.
Dans le répertoire du T.N.P., Antigone s’inscrit à la suite de beaucoup d’autres œuvres d’inspiration civiques qui forment même, semble-t-il, la majorité de ce répertoire.
Face à l’inertie et à la timidité du plus grand nombre, Antigone se dresse. Elle devient alors l’ennemi déclaré de nos paresses, de nos lâchetés civiques, de notre confort social, fondé trop souvent sur l’injustice.
Antigone enseigne aussi qu’à travers tous les mirages de ce qu’il est convenu d’appeler le destin, l’homme est responsable de ce qu’il fait. C’est donc une leçon de caractère et un appel à la clairvoyance. Enfin, à travers toute l’œuvre, on sent que l’auteur ne désespère jamais de l’homme. Quand les raisons de désespérer sont trop évidentes, c’est alors qu’il faut savoir les dominer et donc se dominer.
La civilisation athénienne, religieuse certes chez Sophocle, avait le respect de l’homme. Et mieux encore, cette confiance, cette admiration, que le chœur nous invite à partager : “Beaucoup de choses sont admirables, mais rien n’est plus admirable que l’homme”.
Extraits d’un texte de Jean Vilar paru dans Bref, journal du TNP, n°40, novembre 1960.