L’Association Jean Vilar, déjà riche du fonds Jean Vilar, constitué à partir du don initial d’Andrée Vilar, a bénéficié des dons généreux et successifs d’Anne-Marie et d’Olivier Philipe. Ces legs ont permis de réaliser l’exposition Maria Casarès Gérard Philipe, Infiniment. Une évocation (du 4 juin 2022 au 30 avril 2023) qui fait revivre à la Maison Jean Vilar, cent ans après leur naissance, la mémoire de Gérard Philipe (4 décembre 1922-25 novembre 1959) et de Maria Casarès (21 novembre 1922-22 novembre 1996).
En consacrant à la carrière de Gérard Philipe au théâtre le parcours iconographique présenté aujourd’hui sur notre site, nous souhaitons, dans le mouvement patrimonial de ce centenaire, partager durablement avec le public les richesses du fonds Gérard Philipe que nous conservons à Avignon et la trace vivante laissée par cet acteur unique.
Révélé sur scène à vingt ans, consacré très vite par le cinéma, Gérard Philipe ne se laisse pas griser par sa célébrité internationale et refuse de figer sa carrière, à moins de trente ans, dans le confort qu’elle pourrait lui assurer : il choisit le risque et rejoint Jean Vilar dans sa mission au service d’un théâtre ambitieux pour tous. Du mur d’Avignon au palais de Chaillot, de Suresnes à Ivry, de Marseille à Strasbourg, de Montréal à Varsovie, il partage l’aventure du Théâtre National Populaire. Au cœur de la troupe qu’il accompagne dans plus de vingt tournées internationales avec enthousiasme et humour, ce Cid inoubliable porte, avec le créateur du Festival, le flambeau d’un théâtre de la grandeur. En neuf années légendaires, le prince des remparts redonne leur vigueur aux grands textes qu’il interprète et met en scène plusieurs fois. Il les rend accessibles à un public élargi, dans un retour fécond aux origines grecques de la représentation théâtrale : une cérémonie démocratique où se resserrait, par le pouvoir de l’art et du verbe, la communauté des citoyens.
Une présence, une voix, l’Ange de Sodome et Gomorrhe. 1943
Gérard Philipe n’a reçu que les prémices d’une formation d’acteur lorsqu’il débute dans des pièces de boulevard représentées sur la Côte d’Azur où il est né et où il a grandi. Mais il est immédiatement remarqué par les gens du métier qui lui offrent l’occasion de se révéler sur une des plus grandes scènes parisiennes, le Théâtre Hébertot : la grâce de son visage, la sincérité de son jeu et la mélodie de sa voix insufflent au rôle prophétique de l’Ange, dans l’ultime pièce de Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe, une dimension poétique et mystique dont la trace crée autour de lui une incontestable aura.
L’Ange dans Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, mise en scène de Georges Douking au théâtre Hébertot, Paris, octobre 1943 – Photographie Louis Silvestre © Roger Viollet – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Une présence, une voix, l’Ange de Sodome et Gomorrhe. 1943
Gérard Philipe n’a reçu que les prémices d’une formation d’acteur lorsqu’il débute dans des pièces de boulevard représentées sur la Côte d’Azur où il est né et où il a grandi. Mais il est immédiatement remarqué par les gens du métier qui lui offrent l’occasion de se révéler sur une des plus grandes scènes parisiennes, le Théâtre Hébertot : la grâce de son visage, la sincérité de son jeu et la mélodie de sa voix insufflent au rôle prophétique de l’Ange, dans l’ultime pièce de Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe, une dimension poétique et mystique dont la trace crée autour de lui une incontestable aura.
L’Ange dans Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, mise en scène de Georges Douking au théâtre Hébertot, Paris, octobre 1943 – Photographie Louis Silvestre © Roger Viollet – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Avec Dany Robin au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique – Photographie Serge Lido © Sipa Press
Avec Georges Le Roy, Christiane Minazzoli, Jacques Le Marquet, Georges Wilson, Jean Deschamps, 1954 – Photographie Fititjian © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
À l’épreuve du Conservatoire 1943-1944
Sans se laisser étourdir par le succès de cette pièce demeurée très longtemps à l’affiche, le jeune acteur, « habité », veut apprendre un métier qu’il ne maîtrise pas et se présente avec succès au concours d’entrée au Conservatoire de musique et d’art dramatique de Paris. L’enseignement dispensé par son professeur Denis d’Inès, est traditionnellement fondé, comme le suggère ce cliché où on le voit donner la réplique à Dany Robin, sur la reprise des mêmes scènes, ce qui lui convient peu : il obtient alors, difficilement, son inscription dans la classe de Georges Le Roy. Cet expert de la diction lui apprendra à maîtriser ses dons et à s’approprier les rôles. Gérard, doté d’un second prix de comédie dans une pièce de Musset, quittera cependant assez vite le Conservatoire.
Mais il reste fidèle au maître qu’il s’est donné, et qui devient le mentor bienveillant, exigeant et généreux d’une vie de théâtre : Gérard travaillera avec lui tous ses grands rôles et partagera volontiers ses conseils avec les acteurs de la troupe du Théâtre National Populaire.
Avec Georges Le Roy, Christiane Minazzoli, Jacques Le Marquet, Georges Wilson, Jean Deschamps, 1954 – Photographie Fititjian © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
L’incarnation du tragique contemporain :
Caligula. 1945
Grand lecteur, amateur de textes contemporains, Gérard est fasciné par le Caligula d’Albert Camus, paru en 1944. Alors que le directeur du Théâtre Hébertot souhaite offrir le rôle-titre à un acteur chevronné, l’ange qui rêve d’incarner le démon, obstiné et persuasif, profite du désistement de l’interprète choisi, convainc Albert Camus et se saisit du rôle dérangeant de l’empereur fou : sa composition au plus près des ruptures de ton propres au dramaturge de l’absurde, confirme son talent par une deuxième «épiphanie» tragique.
Dans le rôle de Caligula d’Albert Camus, mise en scène de Paul Oettly, au théâtre Hébertot, Paris, septembre 1945 – Photographie Serge Lido © Sipa Press
Dans le rôle de Caligula d’Albert Camus, mise en scène de Paul Oettly, au théâtre Hébertot, Paris, septembre 1945 – Photographie Serge Lido © Sipa Press
L’incarnation du tragique contemporain :
Caligula. 1945
Grand lecteur, amateur de textes contemporains, Gérard est fasciné par le Caligula d’Albert Camus, paru en 1944. Alors que le directeur du Théâtre Hébertot souhaite offrir le rôle-titre à un acteur chevronné, l’ange qui rêve d’incarner le démon, obstiné et persuasif, profite du désistement de l’interprète choisi, convainc Albert Camus et se saisit du rôle dérangeant de l’empereur fou : sa composition au plus près des ruptures de ton propres au dramaturge de l’absurde, confirme son talent par une deuxième «épiphanie» tragique.
Avec Maria Casarès dans Les Épiphanies au théâtre des Noctambules – Planche contact, décembre 1947 – Photographies Georges Henri © BNF-ASP 4-Col-274 (139)
Un pari audacieux, les Épiphanies. 1947
Déjà célèbre au cinéma pour avoir incarné l’adolescent révolté du Diable au corps dans le film éponyme de Claude Autant-Lara, Gérard Philipe conçoit sur le tournage de La Chartreuse de Parme de Christian-Jaque, à Rome, un de ses projets les plus radicaux : avec la complicité de sa partenaire Maria Casarès, vibrante tragédienne exilée de son Espagne natale et aussi audacieuse que lui, il s’enthousiasme pour le texte des Épiphanies, dont un jeune poète inconnu, Henri Pichette, lui a envoyé le manuscrit fiévreusement rédigé à l’encre rouge.
Gérard déploie alors toute son énergie pour faire représenter à Paris ce poème dramatique violent et idéaliste, surréaliste et mystique, dont la tonalité sulfureuse effraie les directeurs de théâtre. Pour y parvenir, il loue à ses frais le Théâtre des Noctambules pour y monter un spectacle devenu légendaire qui bouscule le public et préfigure le théâtre de rupture des années à venir.
La planche-contact du photographe Georges Henri immortalise la beauté des deux jeunes interprètes, la révolte de Gérard en poète-héros et la ferveur de Maria en amante exaltée. L’amitié nouée alors entre l’acteur célèbre et le poète obscur durera jusqu’à la mort prématurée du premier. La lettre-dédicace du texte des Épiphanies, adressée par Henri Pichette à son poète-héros en témoigne, tout comme le soutien constant accordé par Gérard Philipe aux jeunes auteurs.
Envoi autographe signé d’Henri Pichette, Les Épiphanies, 1948 – Henri Pichette – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Envoi autographe signé d’Henri Pichette, Les Épiphanies, 1948 – Henri Pichette – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
K.M.X Labrador, 1948 – Photographie George Henri © BNF. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Les gaîtés du boulevard. 1948-1949
Tout en rêvant d’interpréter des œuvres plus ambitieuses, Gérard qui a débuté dans des pièces de boulevard, ne dédaigne pas ce répertoire de pur divertissement, omniprésent sur les scènes parisiennes au début des années 1950. L’acteur, encore tout jeune, s’amuse en jouant, au théâtre de La Michodière, dirigé par le prestigieux acteur Pierre Fresnay, une pièce de Jacques Deval, K.M.X Labrador. Pour honorer cet engagement plus ancien, le jeune comédien a dû interrompre les représentations des Épiphanies mais il s’investit avec une conscience professionnelle exemplaire dans l’interprétation de ce texte mineur.
À cette époque, Gérard, modeste, n’oublie pas qu’il fut cantonné, au Conservatoire, dans des rôles de comédie. Plus attiré par les textes d’auteurs contemporains que par les œuvres classiques, il ne s’imagine pas dans un rôle tragique bien qu’il ait interprété un personnage très sombre dans le film noir d’Yves Allégret, Une si jolie petite plage : lorsque Jean Vilar, acteur et metteur en scène rigoureux et inspiré, lui propose d’incarner le Cid au IIIe festival d’Avignon, il refuse. Mais il enfile, peu après, dans Le Figurant de la Gaîté, un vaudeville sans grand intérêt de l’auteur à la mode Alfred Savoir, les oripeaux du personnage d’Albert et s’amuse en jouant ce rôle comique à transformations. Les critiques éclairés qui ont salué son talent ne comprennent pas ce choix et le font… savoir.
Albert dans Le Figurant de la Gaité d’Alfred Savoir, mise en scène de Marcel Herrand au théâtre Montparnasse, Paris, février 1949 – Photographe inconnu © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Le Ve Festival d’Avignon, le tournant d’une carrière. 1950-1951
Après avoir tourné trois films au cours de l’année 1950, Gérard Philipe poursuit sa quête d’un « répertoire vigoureux » : il envisage plusieurs possibilités et procède par élimination. Après avoir songé à la Comédie-Française, il constate que le seul « animateur de théâtre » dont les choix l’intéressent reste Jean Vilar. Deux ans après son refus, il reprend contact avec le créateur du Festival d’Avignon en lui proposant de participer à la cinquième édition d’un événement déjà reconnu mais dont l’avenir reste aléatoire : Jean Vilar ne dispose ni d’une salle de théâtre, ni d’une troupe permanente.
L’acteur le plus célèbre de France signe alors un contrat à durée limitée qui atteste, en termes sobres, sa confiance et son désintéressement dans ce tournant radical donné à sa carrière. Il s’engage en effet à travailler dans les mêmes conditions, modestes, que les autres membres de la troupe éphémère attachée à l’aventure vilarienne depuis 1947. On lui offre le rôle du Prince de Hombourg dans la pièce éponyme du dramaturge allemand, Heinrich von Kleist, déjà programmée, et il accepte d’incarner Rodrigue dans une reprise du Cid.
Contrat d’engagement pour le Festival d’Avignon, 1951 – Asso. Jean Vilar – Fonds Jean Rouvet – 4-JR-31,43
Le miracle du 15 juillet 1951
Déconcertée par le texte touffu du Prince de Hombourg, une œuvre jamais jouée en France et dont la création ouvre le cinquième Festival, la troupe d’Avignon s’interroge avec le compositeur Maurice Jarre, chargé de la musique, sur l’accueil que lui réservera le public. Elle sera vite rassurée : Gérard Philipe donne de son personnage complexe, oscillant entre rêverie, héroïsme et lâcheté, une interprétation inoubliable. Dès sa première apparition devant le mur, quand il surgit lentement du décor de forêt conçu, tout comme le costume du héros, par le peintre Léon Gischia, il devient le prince d’un romantisme de l’absolu à la mesure de son propre mythe, tout en électrisant le talent de la troupe. Jean Vilar interprète le rôle de l’Electeur, Lucienne Le Marchand est l’Electrice, Jeanne Moreau incarne la princesse Natalie d’Orange aux côtés de Jean Négroni en prince de Hohenzollern.
Dans Le Prince de Hombourg avec Jean Negroni, Jean-Paul Moulinot, Jean Vilar, Avignon, juillet 1951 – Photographie Agnès Varda © succession varda – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Le miracle du 15 juillet 1951
Déconcertée par le texte touffu du Prince de Hombourg, une œuvre jamais jouée en France et dont la création ouvre le cinquième Festival, la troupe d’Avignon s’interroge avec le compositeur Maurice Jarre, chargé de la musique, sur l’accueil que lui réservera le public. Elle sera vite rassurée : Gérard Philipe donne de son personnage complexe, oscillant entre rêverie, héroïsme et lâcheté, une interprétation inoubliable. Dès sa première apparition devant le mur, quand il surgit lentement du décor de forêt conçu, tout comme le costume du héros, par le peintre Léon Gischia, il devient le prince d’un romantisme de l’absolu à la mesure de son propre mythe, tout en électrisant le talent de la troupe. Jean Vilar interprète le rôle de l’Electeur, Lucienne Le Marchand est l’Electrice, Jeanne Moreau incarne la princesse Natalie d’Orange aux côtés de Jean Négroni en prince de Hohenzollern.
Dans Le Prince de Hombourg avec Jean Negroni, Jean-Paul Moulinot, Jean Vilar, Avignon, juillet 1951 – Photographie Agnès Varda © succession varda – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Maquette costume du Prince de Hombourg, 1951 – Léon Gischia © ADAGP, Paris, 2022 – Fonds Asso. Jean Vilar
Costume du Prince de Hombourg – © BNF – Fonds Asso. Jean Vilar
Le Prince de Hombourg, 1951 – planche contact – Photographie Agnès Varda © succession varda – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Rodrigue, figure héroïque de l’espoir. 1951
Le rôle du Cid, redouté par un acteur encore trop modeste, va révéler, par une sorte d’épreuve qualifiante comme on les rencontre dans les récits mythiques, la dimension héroïque de l’acteur Gérard Philipe : il redonne à son personnage toute la vigueur et l’enthousiasme rêvés par le jeune Corneille sans en affadir les tourments. Et son costume de Grand d’Espagne, subtilement proche de l’uniforme blanc et noir de Frédéric de Hombourg, mais illuminé par les couleurs ibériques, lui sauve probablement la vie en amortissant une chute grave survenue, de nuit, au cours de la dernière répétition. Rodrigue-Gérard sort ainsi vainqueur de la dernière épreuve que lui réserve le rôle : il joue assis, lors de la première, torturé par les séquelles très douloureuses de sa chute, mais l’événement est historique. Le public identifie son Rodrigue flamboyant à la figure de l’espoir et il devient, en quelques représentations, un héros national … qui ne se prend pas au sérieux et interprète avec gourmandise, sous les arbres du Verger d‘Urbain V, un rôle travesti de courtisane dans La Calandria, une pochade due à un cardinal, proposée au public comme un clin d’œil au passé d’Avignon.
Maquette costume de Don Rodrigue dans Le Cid, 1951 – Léon Gischia © ADAGP, Paris, 2022 – Fonds Asso. Jean Vilar
Rodrigue, figure héroïque de l’espoir. 1951
Le rôle du Cid, redouté par un acteur encore trop modeste, va révéler, par une sorte d’épreuve qualifiante comme on les rencontre dans les récits mythiques, la dimension héroïque de l’acteur Gérard Philipe : il redonne à son personnage toute la vigueur et l’enthousiasme rêvés par le jeune Corneille sans en affadir les tourments. Et son costume de Grand d’Espagne, subtilement proche de l’uniforme blanc et noir de Frédéric de Hombourg, mais illuminé par les couleurs ibériques, lui sauve probablement la vie en amortissant une chute grave survenue, de nuit, au cours de la dernière répétition. Rodrigue-Gérard sort ainsi vainqueur de la dernière épreuve que lui réserve le rôle : il joue assis, lors de la première, torturé par les séquelles très douloureuses de sa chute, mais l’événement est historique. Le public identifie son Rodrigue flamboyant à la figure de l’espoir et il devient, en quelques représentations, un héros national … qui ne se prend pas au sérieux et interprète avec gourmandise, sous les arbres du Verger d‘Urbain V, un rôle travesti de courtisane dans La Calandria, une pochade due à un cardinal, proposée au public comme un clin d’œil au passé d’Avignon.
Maquette costume de Don Rodrigue dans Le Cid, 1951 – Léon Gischia © ADAGP, Paris, 2022 – Fonds Asso. Jean Vilar
Dans Le Cid – Tournée Prague mars 1955, photographie G. Podhorsky © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Témoignage de spectateur à propos du Cid – Fonds Asso. Jean Vilar
1. Saluts des comédiens du Cid, Tournée Pays de l’Est, 1954 © D.R. – Fonds Asso. Jean Vilar
2. Note de Gérard Philipe aux comédiens de Lorenzaccio – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
1. Saluts des comédiens du Cid, Tournée Pays de l’Est, 1954 © D.R. – Fonds Asso. Jean Vilar
2. Note de Gérard Philipe aux comédiens de Lorenzaccio – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Dans La Calandria – Jardin du Verger à Avignon, 1951 – Photographie Agnès Varda © succession varda
Fonds Asso. Jean Vilar
L’aventure du Théâtre National Populaire 1951-1959
Gérard Philipe ne revendique aucun privilège et refuse de se mettre en vedette dans la troupe avignonnaise où il a trouvé naturellement sa place. Comme dans tous ses rôles, au théâtre et au cinéma, sa participation s’inscrit toujours dans une action collective. L’exceptionnel succès du Festival 1951 devant un public élargi par la présence lumineuse de Gérard conforte néanmoins un projet important des pouvoirs publics en direction de Jean Vilar, candidat depuis longtemps à la direction d’une institution théâtrale. Jeanne Laurent, haute fonctionnaire d’exception, pionnière de la décentralisation théâtrale qui connaît son talent et ses convictions, propose au directeur du Festival de relever un défi : faire revivre dans l’immense salle de théâtre du palais de Chaillot, à Paris, le Théâtre National Populaire que le comédien Firmin Gémier avait créé dans les années 1920, et qui vivote depuis la fin de la guerre. Malgré la lourdeur du cahier des charges et les risques d’un contrat qui engage sa responsabilité, Jean Vilar attend la réponse de Gérard Philipe pour accepter.
L’aventure est périlleuse mais elle séduit aussitôt le bouillant acteur, qui conçoit son métier comme un artisanat et aime s’adresser sans démagogie à tous les publics : tandis qu’il incarne au cinéma, le même été, avec une joie d’adolescent, le héros populaire Fanfan la tulipe qui lui vaudra une célébrité internationale, il s’engage pleinement au cœur de la troupe, dans la recherche du « répertoire vigoureux », élevé, ambitieux dont il rêvait et illumine pendant neuf ans, la période historique de l’utopie vilarienne.
En attendant que la salle de Chaillot, en travaux, soit disponible, la troupe nouvellement créée se produit en banlieue et inaugure avec le « petit festival de Suresnes » une formule qui invite le public à assister à plusieurs représentations au cours d’un même week-end, tout en dialoguant avec la troupe autour d’un dîner et même d’un bal : Gérard y interprète Le Cid mais aussi le petit rôle d’Eilif dans Mère courage, de Berthold Brecht, qu’il reprendra en tournée.
Maquette costume de Eliff dans Mère Courage, 1951 – Ernest Pignon © ADAGP, Paris, 2022- Fonds Asso. Jean Vilar
Avec Françoise Spira, Monique Chaumette, Lucienne Le Marchand, Jeanne Moreau – Tournée Berlin, 1952 © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Au cours de ces années fastes, Gérard Philipe participe à plus de vingt tournées internationales, tout en jonglant avec ses tournages au cinéma pour honorer complètement son engagement. Ses jeux et ses facéties égaient la troupe pendant ses longs déplacements. La troupe du Théâtre National Populaire devient alors, à l’égal de la Comédie-Française, l’ambassadrice de la culture française dans le monde. Le héros national, très demandé dans le rôle du Cid qu’il interprètera en tout cent-quatre-vingt-dix-neuf fois, déplace des foules enthousiastes, de Hambourg à Athènes, de Rome à Moscou, au service de réalisations uniquement françaises et sans jamais céder aux avances d’Hollywood.
Tellur dans Nucléa – Palais de Chaillot, 1952 – Photographie Fititjian © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Tellur dans Nucléa – Palais de Chaillot, 1952 – Photographie Fititjian © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Note de mise en scène de Gérard Philipe – Nucléa, 1952 – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
À la recherche d’un répertoire contemporain. 1952.
Pour Jean Vilar comme pour Gérard Philipe, l’accueil d’un public plus large va de pair avec la recherche d’un répertoire français et étranger, novateur et contemporain. Fidèle à l’auteur des Épiphanies, Gérard Philipe souhaite jouer et mettre en scène lui-même Nucléa, une fable sur les risques que l’énergie nucléaire fait peser sur l’humanité conçue par son ami Henri Pichette. Le poète, tourmenté, irrégulier, peut compter sur l’inlassable dévouement de Gérard qui le soutient moralement et matériellement jusqu’à la fin de son travail d’écriture. Mais si Gérard Philipe donne le meilleur de lui-même dans sa mise en scène et son interprétation de Tellur, aux côtés de Jeanne Moreau dans le rôle d’Yllen, face à la figure diabolique de Gladior, incarnée par Jean Vilar, l’échec public et critique de Nucléa est sans appel.
L’accomplissement de l’acteur régisseur, Lorenzaccio. 1952
Deux ans jour pour jour après la révélation du Prince de Hombourg, Gérard Philipe relève un nouveau défi : chargé de créer le rôle-titre de Lorenzaccio d’Alfred de Musset au VIe Festival d’Avignon, il assure aussi la régie du spectacle par solidarité avec Jean Vilar, malade, et ses notes de travail attestent sa passion pour la mise en scène.
Selon ses partenaires et ses pairs dont Michel Bouquet, il donne, dans son interprétation du rôle de Lorenzo de Médicis, une de ses plus belles compositions : sa mélancolie sans complaisance laisse deviner, derrière le cynisme et la lâcheté de cette figure de l’échec, le héros qu’il aurait pu être, en totale harmonie avec Daniel Ivernel, Jean Deschamps, Charles Denner, Françoise Spira, Monique Mélinand, Georges Wilson et une trentaine d’acteurs de la troupe.
Lorenzo dans Lorenzaccio, 1952 – Photographie Fititjian © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
L’accomplissement de l’acteur régisseur, Lorenzaccio. 1952
Deux ans jour pour jour après la révélation du Prince de Hombourg, Gérard Philipe relève un nouveau défi : chargé de créer le rôle-titre de Lorenzaccio d’Alfred de Musset au VIe Festival d’Avignon, il assure aussi la régie du spectacle par solidarité avec Jean Vilar, malade, et ses notes de travail attestent sa passion pour la mise en scène.
Selon ses partenaires et ses pairs dont Michel Bouquet, il donne, dans son interprétation du rôle de Lorenzo de Médicis, une de ses plus belles compositions : sa mélancolie sans complaisance laisse deviner, derrière le cynisme et la lâcheté de cette figure de l’échec, le héros qu’il aurait pu être, en totale harmonie avec Daniel Ivernel, Jean Deschamps, Charles Denner, Françoise Spira, Monique Mélinand, Georges Wilson et une trentaine d’acteurs de la troupe.
Lorenzo dans Lorenzaccio, 1952 – Photographie Fititjian © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Costume de Lorenzo dans Lorenzaccio, 1952 © BNF- Fonds Asso. Jean Vilar
Maquette costume de Lorenzo dans Lorenzaccio, 1952 – Léon Gischia © ADAGP, Paris, 2022 – Fonds Asso. Jean Vilar
Anne et Gérard Philipe entre deux répétitions au Verger Urbain V à Avignon, 1956 – Photographie Agnès Varda © succession varda
Anne Philipe, inspiratrice et complice. 1949-1959
Dans l’aventure épuisante qu’il a choisie par passion et qu’il conduit avec raison, l’acteur le plus populaire de France n’est pas seul : depuis 1946, il est amoureux de l’ethnologue et cinéaste Nicole Fourcade, qu’il épouse en 1951, après une longue attente. Discrètement présente dans tous ses projets, celle qui est devenue Anne Philipe, naturellement complice, le conseille avec justesse et lucidité dans l’aventure du Théâtre National Populaire.
Le moment d’intimité et de repos saisi par l’objectif d’Agnès Varda sur les tréteaux d’Avignon, pendant une journée de répétition, demeure célèbre car il est rare. Si Gérard se prête avec le sourire aux séances d’autographes demandées par des essaims d’admiratrices partout dans le monde, ici devant le Palais de Chaillot, le couple saura tenir sa vie privée et ses enfants, Anne-Marie et Olivier, à l’écart des rumeurs et des gazettes, avec une constance rigoureuse.
Maquette costume de Callimaque dans La Nouvelle Mandragore, 1952 – Édouard Pignon © ADAGP, Paris, 2022 – Fonds Asso. Jean Vilar
Devant le Palais de Chaillot, 1954 – Photographie © D.R. – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
De Richard II à Ruy Blas, l’alternance des grands rôles. 1954
L’organisation du Théâtre National Populaire qui atteint un succès exceptionnel et réunit chaque soir plus de 2500 spectateurs soumet ses acteurs à une rude discipline : en février 1954, Gérard Philipe joue en alternance Le Prince de Hombourg et Lorenzaccio. Mais il reprend aussi le rôle-titre de La Tragédie du roi Richard II de Shakespeare que Jean Vilar a souhaité lui transmettre après en avoir donné lui-même une interprétation tragique. La composition originale du rôle dont Gérard restitue la dimension baroque ne fait pas l’unanimité. La critique d’avant-garde, désormais acquise aux théories radicales de Berthold Brecht sur le théâtre, remet en question l’utopie vilarienne, sa fidélité au grand répertoire et la liberté laissée par Jean Vilar aux acteurs.
Le public, lui, accorde un accueil triomphal à la création d’un autre rôle, celui de Ruy Blas : après Corneille, Kleist, Musset et Shakespeare, Gérard Philipe aborde le monument Victor Hugo, avec sobriété : il évite l’emphase et met l’alexandrin hugolien au service du débat intérieur vécu par son personnage, brillamment entouré par la jeune Christiane Minazzoli dans le rôle de la Reine, le Dom Salluste incisif de Jean Deschamps et le Dom Cesar burlesque de Daniel Sorano.
Dans Richard II, 1954 – Photographie Agnès Varda © succession varda – Fonds Asso. Jean Vilar
Maquette costume de Richard II par Léon Gischia, 1954 – Léon Gischia © ADAGP, Paris, 2022 – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Avec Christiane Minazzoli et Jean Deschamps dans Ruy Blas, 1954 – Photographie Agnès Varda © succession varda -Fonds Asso. Jean Vilar
Note de Jean Vilar à Gérard Philipe, 1954 – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Cahier d’un admirateur tchèque – Fonds Asso. Jean Vilar
Avec Maria Casarès et Jean Vilar, tournée Amérique du Nord, 1958 – Photographie Jean Rouvet © D.R. – Fonds Asso. Jean Vilar
De Berlin à New-York, de Prague à Salonique, le rythme épuisant des tournées. 1958
En tournée, Gérard assume avec un sérieux soigneusement dissimulé derrière les rires qu’il partage avec ses camarades, son rôle d’ambassadeur du théâtre français. Attentif aux réactions des spectateurs étrangers qui feront vivre son mythe, il prend le temps d’expliquer son travail, dialogue avec le public et répond au courrier. Il est attendu avec impatience dans tous les pays qu’il visite et dont la presse crée avec lui un lien particulier.
Pendant la grande tournée de deux mois qui emmène en 1958 la troupe du TNP au Québec puis aux États-Unis, Gérard Philipe interprète Lorenzaccio et Le Cid avec Maria Casarès qui a rejoint le Théâtre National Populaire en 1954 et joue le rôle de Chimène. Le succès est au rendez-vous mais la présence d’un acteur proche du Parti Communiste français et d’une figure exilée de la défunte République espagnole inquiète les autorités américaines. Contraints de voyager par un vol séparé qui les isole de la troupe, Gérard et Maria arrivent cependant le sourire aux lèvres pour conquérir New-York en compagnie de Jean Vilar.
Avec Maria Casarès, répétitions du Cid dans la Cour d’honneur, 1958 – Photographie Agnès Varda © succession varda – Fonds Asso. Jean Vilar
Un duo légendaire, Gérard Philipe et Maria Casarès 1958
Gérard Philipe et Maria Casarès répètent Le Cid durant l’été 1958 dans la Cour d’honneur à Avignon. Les deux comédiens jouent la pièce au Canada puis au États-Unis avant de la présenter devant le public de Chaillot.
Avec Maria Casarès, répétitions du Cid dans la Cour d’honneur, 1958 – Photographie Agnès Varda © succession varda – Fonds Asso. Jean Vilar
Un héros national au service de la profession d’acteur. 1957-1959
Jean Vilar et Gérard Philipe, réunis par un idéal commun et une rare complicité artistique, diffèrent dans l’expression de leurs convictions : quand le Syndicat français des acteurs demande à Gérard Philipe de soutenir ses efforts pour améliorer le sort et les conditions de travail des comédiens, il accepte d’en devenir président et donne toute son énergie à une action qui se révèlera efficace et déterminante pour l’avenir. Bridé par un emploi du temps surchargé, il n’hésite pas à exercer cette activité dans les coulisses du théâtre, dans un mélange des genres désapprouvé par son directeur. Jean Vilar, en effet, se refuse à toute action politique et veut gérer dans une stricte neutralité l’institution que lui a confiée l’État. Les statuts du Théâtre National Populaire interdisant aux acteurs, à cette époque, de parler de politique dans le cadre de leur travail, le « patron » rappelle à l’ordre et à l’heure un Gérard toujours passionné, toujours pressé, qui multiplie les projets et les réalise dans la hâte.
Extrait de lettre de Jean Vilar à Gérard Philipe, 6 janvier 1959 – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Extrait de lettre de Jean Vilar à Gérard Philipe, 6 janvier 1959 – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Un héros national au service de la profession d’acteur. 1957-1959
Jean Vilar et Gérard Philipe, réunis par un idéal commun et une rare complicité artistique, diffèrent dans l’expression de leurs convictions : quand le Syndicat français des acteurs demande à Gérard Philipe de soutenir ses efforts pour améliorer le sort et les conditions de travail des comédiens, il accepte d’en devenir président et donne toute son énergie à une action qui se révèlera efficace et déterminante pour l’avenir. Bridé par un emploi du temps surchargé, il n’hésite pas à exercer cette activité dans les coulisses du théâtre, dans un mélange des genres désapprouvé par son directeur. Jean Vilar, en effet, se refuse à toute action politique et veut gérer dans une stricte neutralité l’institution que lui a confiée l’État. Les statuts du Théâtre National Populaire interdisant aux acteurs, à cette époque, de parler de politique dans le cadre de leur travail, le « patron » rappelle à l’ordre et à l’heure un Gérard toujours passionné, toujours pressé, qui multiplie les projets et les réalise dans la hâte.
Maquette costume d’Octave dans Les Caprices de Marianne, 1958 – Léon Gischia © ADAGP, Paris, 2022 – Fonds Asso. Jean Vilar
Les Caprices de Marianne, le chant du cygne avignonnais. 1958-1959
En aout 1958, Gérard Philipe créé aux côtés de Geneviève Page le rôle d’Octave des Caprices de Marianne dans une mise en scène de Jean Vilar subtile et inspirée. Son Octave mélancolique est le frère du Lorenzaccio dont il reprend au cours du même Festival, l’interprétation et la mise en scène.
Sonia Debeauvais, véritable mémoire du Festival, arrivée en 1956 dans l’équipe de Jean Vilar comme responsable des publics, découvre en même temps la pièce et l’acteur. Elle se rappelle avoir reçu un « choc » devant ce « spectacle, le plus beau, le plus achevé » qu’elle ait vu au Théâtre National Populaire. Elle apprécie la lenteur « enveloppée en poésie » de cette création, que Jean Vilar vit lui aussi comme un moment de grâce, particulièrement précieux : car le public enchanté de ce XIIe Festival ne le sait pas, mais Avignon ne reverra jamais plus le prince de ses remparts.
De Cannes à Paris, Marie Philip, surnommée Minou par les siens, suit avec attention et tendresse la carrière de son fils, ici lors d’une répétition des Caprices de Marianne en vue de leur reprise à Chaillot, en janvier 1959. Gérard Philipe ne manquera jamais de rappeler le soutien décisif que sa mère apporta à son désir de devenir acteur : Minou, après avoir présenté son fils à Marc Allégret qui repère ses dons, parvint à vaincre les réticences classiques alors de son époux, face aux risques d’une carrière artistique.
Avec sa mère Marie Elisa Philip, répétitions des Caprices de Marianne – 1958 – Photographie Studio Lipnitski © Roger Viollet – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Maquette costume de Perdican dans On ne badine pas avec l’amour, 1958 – Édouard Pignon © ADAGP, Paris, 2022 – Fonds Asso. Jean Vilar
La fin du cycle Musset : On ne badine pas avec l’amour . 1959
« Très impatient et en même temps, patient et prudent » comme le remarqua son maître Georges le Roy, Gérard Philipe voulait absolument accomplir le cycle Musset dont il rêvait, avant que [s]es cheveux ne tombent. » Tout aussi surmené que son acteur, Jean Vilar invite le cinéaste René Clair, figure amicale et paternelle pour Gérard Philipe qui a tourné trois films avec lui, à en assurer la mise en scène au Palais de Chaillot. Aux côtés de la grande actrice Suzanne Flon, le héros humanise la figure égoïste du jeune Perdican et fait ressentir, derrière la cruauté du personnage, son désarroi de jeune homme. Le spectacle n’obtient qu’un succès honorable mais l’interprétation de Gérard Philipe, ce Perdican qui « ne pouvait pas vieillir » recueille tous les éloges. L’acteur songe alors à interpréter Hamlet avant d’aborder dans sa maturité d’autres grands rôles chez Corneille, Molière, Racine. Le destin en décidera autrement : la carrière de Gérard Philipe au théâtre prend fin le 21 février 1959 après la seizième et dernière représentation de On ne badine pas avec l’amour.
Avec Suzanne Flon, Mme Sylvie, René Clair et Édouard Pignon, répétitions On ne badine pas avec l’amour, 1959 – Photographie Agnès Varda © succession varda – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
L’hommage de Jean Vilar. 28 novembre 1959.
Le 25 novembre 1959, la disparition de Gérard Philipe, foudroyé en quelques semaines par un cancer inopérable, est un véritable deuil national. Cette mort précoce achève d’inscrire dans un parcours mythique la figure héroïque de l’acteur qu’il fut : populaire, loyal, courageux, généreux et enthousiaste, au cinéma comme au théâtre. Pour Jean Vilar et la troupe de Chaillot, c’est un cataclysme : « Gérard » symbolisait l’élan collectif de la troupe au service d’un théâtre ambitieux pour tous, accessible à tous, capable de redonner sa vigueur au répertoire classique et d’interroger les consciences.
L’hommage que lui rend Jean Vilar sur la scène du palais de Chaillot le soir même de son inhumation à Ramatuelle est resté dans les mémoires. Ses mots traduisent avec une justesse et une sobriété rares la valeur de l’acteur et la force des liens noués avec la troupe : le Théâtre National Populaire, fidèle à son utopie originelle, poursuivra brillamment son aventure mais ne se consolera jamais de la mort de son prince.
Texte de Jean Vilar rendant hommage à Gérard Philipe lue au public sur la scène du Palais de Chaillot, le soir même de son enterrement au cimetière de Ramatuelle, 28 novembre 1959 – Asso. Jean Vilar – Fonds Jean Vilar – 4-JV-84,3
Texte de Jean Vilar rendant hommage à Gérard Philipe lue au public sur la scène du Palais de Chaillot, le soir même de son enterrement au cimetière de Ramatuelle, 28 novembre 1959 – Asso. Jean Vilar – Fonds Jean Vilar – 4-JV-84,3
Avec Suzanne Flon dans On ne badine pas avec l’amour, 1959 – Photographie Agnès Varda © succession varda – Asso. Jean Vilar-Fonds G. Philipe
Frise chronologique sur la carrière théâtrale de Gérard Philipe
1922 : 4 décembre : Naissance de Gérard Philip à Cannes. Naissance de Maria Casarès (22 novembre), d’Alain Resnais, Micheline Presle, Serge Reggiani, Michel Auclair.
1940 : Gérard, atteint d’une pleurésie, achève son année scolaire en externat. Suzanne Devoyod, sociétaire honoraire de la Comédie-Française, repère son talent lors d’une matinée de la Croix-Rouge.
Octobre : Marcel Philip, administrateur du Parc Palace Hôtel à Grasse, s’y installe définitivement avec sa famille et en prend la direction.
3 octobre : Repli massif des professionnels du cinéma sur la Côte d’Azur.
1941 : Gérard, auditionné par Marc Allégret, est admis au cours d’art dramatique du Centre artistique et technique des jeunes pour le cinéma à Nice. Il suit aussi le cours de Jean Wall à Cannes.
1942 : 11 juillet : Débuts au théâtre dans Une grande fille toute simple d’André Roussin. Gérard, sous le nom de Philippe Gérard, joue le petit rôle de Mick avec Claude Dauphin et Madeleine Robinson à Cannes, puis en tournée à Nice, Marseille, et en Suisse. À Nice, Gérard fait la connaissance de Nicole Fourcade, une amie de Jacques Sigurd.
1943 : Janvier-février : Gérard joue le rôle de Coco dans Une Jeune fille savait sous son nom de scène définitif, « Gérard Philipe », au cours d’une tournée de 40 jours.
11 octobre : Brillants débuts à Paris dans Sodome et Gomorrhe, de Jean Giraudoux, au Théâtre Hébertot. Gérard joue le rôle de l’Ange.
Fin octobre : Marcel Philip quitte Grasse et prend la direction de l’hôtel Le Petit Paradis, rue de Paradis (Xe arrondissement), à Paris, où il loge sa famille et accueille les amis de son fils. Reçu au concours d’entrée au Conservatoire de musique et de déclamation, Gérard est admis dans la classe de Denis d’Inès.
1944 : Janvier : Gérard Philipe réussit son examen au Conservatoire avec mention Très bien.
31 janvier : Mort de Jean Giraudoux. Prolongation des représentations de Sodome et Gomorrhe.
13-14 juin : Gérard Philipe obtient un second prix de comédie au Concours du Conservatoire dans Fantasio et Il ne faut jurer de rien de Musset.
23 octobre : Admission de Gérard en deuxième année au Conservatoire, classe de Georges le Roy.
8 novembre : Gérard joue le rôle de Denis dans Au petit Bonheur de Marc-Gilbert Sauvajon au Théâtre Gramont avec Odette Joyeux, Sophie Desmarets et Jean Marchat.
1945 : Janvier : Gérard se présente à l’examen du Conservatoire dans le rôle d’Octave des Caprices de Marianne.
3 mars : Gérard joue le rôle du Prince Blanc dans Federigo de René Laporte au théâtre des Mathurins.
Juin : Gérard ne se présente pas au concours de deuxième année au Conservatoire.
26 septembre : Gérard Philipe crée le rôle éponyme de Caligula d’Albert Camus, au Théâtre Hébertot. Mise en scène de Paul Œttly, avec Margo Lion, Georges Vitaly et Michel Bouquet. Gros succès public.
23 octobre : Démission officielle du Conservatoire.
1946 : Avril : au cours d’un séjour dans les Pyrénées, Gérard retrouve Nicole Fourcade.
1947 : Mars -septembre : Gérard Philipe joue le rôle de Fabrice Del Dongo dans le film de Christian-Jaque, La Chartreuse de Parme, aux côtés de Maria Casarès, dans le rôle de la Sanseverina.
4-10 septembre : Jean Vilar présente trois créations avec Alain Cuny, Germaine Montero et une troupe de jeunes comédiens à la première Semaine d’art organisée au Palais des papes à Avignon.
3 décembre : Gérard Philipe crée le rôle du Poète des Épiphanies d’Henri Pichette au Théâtre des Noctambules à Paris, avec Maria Casarès dans celui de l’Amoureuse.
1948 : 29 janvier : Gérard Philipe joue le rôle de Harold, dans KMX Labrador, mis en scène par Jacques Deval au Théâtre de La Michodière.
Juillet : Reprise des Épiphanies d’Henri Pichette au Théâtre des Ambassadeurs à Paris.
Octobre-novembre : Jean Vilar reçoit Gérard Philipe et lui propose d’interpréter Le Cid à l’occasion du IIIe festival d’Avignon, en juillet 1949. Le comédien refuse le rôle.
Novembre : René Clair rencontre Gérard Philipe à Nice, lui propose un rôle dans un scénario autour du personnage de Faust. Il se heurte également à un refus.
1949 : 3 mars : Gérard Philipe joue le rôle d’Albert dans Le Figurant de la Gaîté, au Théâtre Montparnasse-Gaston Baty.
1950 : Octobre : Gérard Philipe propose à Jean Vilar de participer au Ve festival d’Avignon. Il accepte le rôle éponyme du Prince de Hombourg, et celui de Rodrigue dans la deuxième reprise du Cid.
1951 : 30 mai : Gérard Philipe répète Le Prince de Hombourg et Le Cid avec l’équipe du TNP et travaille son rôle avec Georges Le Roy.
15-17 juillet : au Ve Festival d’Avignon, Gérard Philipe éblouit le public le rôle de Frédéric dans Le Prince de Hombourg. Il fait une chute spectaculaire pendant la « couturière » du Cid.
18 juillet : Gérard Philipe crée le rôle de Rodrigue du Cid dans une régie de Jean Vilar. Triomphe public et critique dithyrambique.
25 juillet : Jeanne Laurent, sous-directrice du théâtre au Secrétariat d’État aux Beaux-Arts, propose à Jean Vilar de reprendre la direction du Théâtre National de Chaillot issu du Théâtre National Populaire.
27 juillet : Gérard Philipe et la troupe du festival d’Avignon jouent Le Cid à Bacharach, près du Rocher de la Lorelei, dans le cadre d’une rencontre franco-allemande de jeunes.
Mi-août : Jean Vilar signe son contrat de directeur du TNP, assorti de lourdes contraintes.
20 août : Gérard Philipe interprète le rôle-titre dans le film de Christian-Jaque, Fanfan la Tulipe.
29 septembre : Gérard Philipe, star internationale, signe son contrat annuel avec le TNP dans des conditions strictement égales à celles de tous les autres membres de la troupe.
17-18 novembre : Premières représentations du TNP au Théâtre de la Cité-jardin de Suresnes. Gérard Philipe interprète Le Cid et le rôle d’Eilif dans Mère courage de Bertold Brecht. Ce « petit festival » TNP comporte une rencontre des artistes avec le public, un banquet et un bal. Succès historique du Cid.
29 novembre : Gérard Philipe épouse Nicole Fourcade, désormais connue sous le nom d’Anne Philipe.
27-29 décembre : Tournée du TNP avec Le Cid et Gérard Philipe, en Allemagne, à Augsbourg, Nuremberg, Karlsruhe, Baden-Baden et Munich.
1952 : 4-30 janvier : Gérard Philipe repart en tournée avec le TNP en France et en Europe du Nord : Strasbourg, Colmar, Lyon, Bruxelles, Luxembourg, Louvain, Mons, Gand et Anvers.
3-17 février : Représentations à Gennevilliers du Cid et de Mère Courage.
22 février-1 avril : Gérard Philipe interprète avec le TNP au Théâtre des Champs-Elysées Le Prince de Hombourg et Le Cid (trente-sept représentations).
10-15 avril : représentations du Cid et de Mère Courage sous chapiteau à la Porte Maillot.
30 avril : Première représentation du TNP à Chaillot avec L’Avare de Molière.
3 mai : Gérard Philipe réalise sa première mise en scène et joue le rôle du poète Tellur dans la pièce d’Henri Pichette, Nucléa.
9 juin–15 juillet : Gérard Philipe répète, met en scène et joue le rôle de Lorenzo dans la création de Lorenzaccio au VIe festival d’Avignon. Énorme succès.
28 juin – 31 juillet : Le Cid et Le Prince de Hombourg à l’Hôtel de Soubise, Paris puis à Saint-Malo.
6 septembre-1 janvier : Gérard Philipe joue Le Cid et Le Prince de Hombourg dans douze villes de Suisse, d’Allemagne et d’Italie, puis à Lyon, Villeurbanne, Montpellier, Marseille, puis à Chaillot.
20-31 décembre : Gérard Philipe met en scène et joue le rôle de Callimaque dans La Nouvelle Mandragore de Jean Vauthier, créée au TNP. Échec critique et public.
1953 : 29 janvier–5 février : Le Cid, Le Prince de Hombourg, La Nouvelle Mandragore à Montrouge.
12-19 février : Joue Le Prince de Hombourg et Le Cid à Issy-les-Moulineaux.
26 février – 31 mars : Saison Chaillot, Lorenzaccio (succès), Le prince de Hombourg, Le Cid, Nucléa
15-25 juin : Gérard Philipe participe, en jouant Le Prince de Hombourg, au festival de la Ruhr en Allemagne, Hambourg, Recklinghausen, Cologne.
4 novembre-27 décembre : Reprise de Lorenzaccio à Chaillot en alternance avec d’autres spectacles.
1954 : 1 janvier : Joue Le Prince de Hombourg à Chaillot.
16-31 janvier : Gérard Philipe joue Le Prince de Hombourg en tournée à Tunis, puis à Versailles, Choisy- le-Roy, Aulnay- sous-Bois, Versailles, Villeneuve-le Roi, Gennevilliers.
2-23 février : Gérard Philipe reprend à Chaillot le rôle-titre dans La Tragédie du roi Richard II, de Shakespeare en alternance avec Le Prince de Hombourg et Lorenzaccio pendant tout le mois de février et crée le rôle de Ruy Blas à Chaillot.
1er mars-15 avril : Gérard Philipe joue en alternance, à Chaillot, Ruy Blas, Richard II, et Le Cid.
17 avril-16 mai : Gérard Philipe joue La Tragédie du roi Richard II, en Allemagne- Bochum, Krefeld, Essen, Aix-la-Chapelle, Sarrebruck- Le Cid à Charleroi – puis Le Prince de Hombourg, et Ruy Blas, à Poissy, Enghien, Amiens et Suresnes.
10 juin- 15 juillet : Gérard Philipe joue Le Cid, avec le TNP au festival Corneille de Rouen, puis Le Prince de Hombourg, Le Cid et Ruy Blas à Genève, Strasbourg, Savigny- lès-Beaune, à Amsterdam et La Haye pour le festival de Hollande et au 1er festival de Marseille.
20-30 juillet : VIIIe festival d’Avignon. Gérard Philipe joue Le Prince de Hombourg et assiste Jean Vilar, malade, pour la régie et les répétitions de Macbeth.
11 septembre–30 décembre : Gérard Philipe joue Le Cid et Ruy Blas en tournée avec le TNP au Canada, à Montréal et Québec, puis en Pologne à Varsovie, Cracovie, en Russie à Stalingrad, enfin, en alternance, Le Prince de Hombourg, Ruy Blas, Le Cid, Richard II et Lorenzaccio à Chaillot, Montrouge, Champigny, Montreuil et Colombes.
21 décembre : Naissance d’Anne-Marie, fille d’Anne et Gérard Philipe. Gérard Philipe se met en congé du TNP, sauf pour les tournées à l’étranger.
1955 : 1 janvier-27 avril : Gérard Philipe joue Le Prince de Hombourg, Ruy Blas, Le Cid, Richard II et Lorenzaccio en alternance à Chaillot puis Ruy Blas en RDA à Berlin et à Dresde, en Tchécoslovaquie à Prague, Brno et Bratislava, en Yougoslavie à Liubliana, Zagreb, Sarajevo, et Belgrade et en Grèce à Athènes, Salonique.
1956 : 9 février : Naissance, à Paris, d’Olivier, fils d’Anne et Gérard Philipe.
17-31 juillet : Xe festival d’Avignon. Gérard Philipe reprend le rôle du Prince de Hombourg.
7 décembre – 26 janvier : Représentation exceptionnelle du Prince de Hombourg à Chaillot pour la fin d’année prolongées jusqu’en janvier.
1957 : 29 septembre- 16 octobre : Gérard Philipe, sollicité par Bernard Blier et Jean Darcante, est élu à la tête du Comité des acteurs. Puis il alerte le grand public sur les conditions de travail et de rémunération des acteurs dans un éditorial intitulé « Les acteurs ne sont pas des chiens », publié par le magazine Arts.
1958 : 15 juin : Gérard Philipe est élu président du Syndicat des acteurs (4000 membres).
15-27 juillet : au XIIe festival d’Avignon, interprétation du rôle d’Octave dans Les Caprices de Marianne et reprise de Lorenzaccio.
22 septembre-10 octobre : Gérard Philipe participe avec Jean Vilar, Maria Casarès et toute la troupe du TNP à une longue tournée au Québec, puis aux États-Unis, à New-York, Philadelphie, Washington, Princeton, Boston et au siège de l’ONU. Il joue Lorenzaccio et Le Cid.
19 novembre-19 février : Reprise des Caprices de Marianne à Chaillot, en alternance avec Lorenzaccio et Le Cid.
1959 : 15 janvier : Le Syndicat des acteurs publie un plan de réorganisation du théâtre dramatique et lyrique en province qui préfigure le mouvement de décentralisation des années 1960.
3 février-21 février : Gérard Philipe joue à Chaillot le rôle de Perdican dans On ne Badine pas avec l’amour. Gerard Philipe et Maria Casarès enregistrent les deux disques de l’anthologie Les Plus beaux poèmes de la langue française
26 avril : Gérard Philipe ne se porte pas candidat à sa réélection à la présidence du Syndicat des acteurs.
23 octobre : Après avoir assisté, à Londres à une représentation de Coriolan de Shakespeare, interprété par Laurence Olivier, Gérard Philipe annonce à Georges le Roy qu’il va jouer Hamlet et Le Menteur.
25 novembre : Gérard Philipe meurt à onze heures cinquante, neuf jours avant son trente-septième anniversaire d’un cancer du foie.
28 novembre : Il est inhumé, revêtu de son costume du Cid, dans le cimetière de Ramatuelle. Le soir même, Jean Vilar lui rend un hommage puissant sur la scène du TNP à Chaillot.
Bibliographie
Geneviève Winter, Gérard Philipe, Gallimard, collection Folio Biographies, 17/11/2022.
Cahier Jean Vilar n°114, spécial Gérard Philipe, février 2013.
Jean Vilar / Gérard Philipe « J’imagine mal la victoire sans toi… », Adaptation des lettres, notes et propos par Virginie Berlin, éditions TriArtis, 2019.
Remerciements
L’Association Jean Vilar tient à remercier chaleureusement :
Anne-Marie et Olivier Philipe pour leurs dons d’archives, précieuses pour comprendre l’histoire du Festival d’Avignon et du Théâtre National Populaire dont Gérard Philipe a écrit parmi les plus belles pages. Ce Fonds G. Philipe conservé à la Maison Jean Vilar est accessible à tous sur demande de consultation, il rassemble une partie des archives, de la correspondance et des photographies de la vie artistique et privée de Gérard Philipe.
Geneviève Winter pour la rédaction des textes qui rythment et donnent tout son sens à ce parcours iconographique.
Conception : Adrian Blancard et Margot Laurens
Ce parcours iconographique a pu être réalisé grâce au soutien de la DRAC PACA dans le cadre du Programme de numérisation et valorisation des contenus culturels 2021 et 2022.
Page dédiée à Gérard Philipe sur Jean Vilar, une vie, une oeuvre > en savoir plus
Exposition Infiniment, Maria Casarès, Gérard Philipe > en savoir plus